mercredi 11 juin 2003

Volume 3

Douala, 9h30 locales, température 30°C, humidité 85%…
Un groupe de passagers se dirige avec nous vers la salle d’embarquement du vol direct vers Paris. Les commentaires acerbes vont bon train sur le retard de notre vol. Pas plus de 13 heures, une paille. Même pour des habitués de la flotte A 310, c’est dur à encaisser. D’autant plus dur que rien dans les tarifs parmi les plus forts du réseau Skyteam ne laissent soupçonner une flotte obsolète : 22000 F AR en Espace 127, 19000 F en Tempo. Coup de pot, il n’y a pas de 180 car ça mettait la promenade à 31000 Francs.
Arrivé en salle d’embarquement, je note immédiatement que cette dernière est sans rapport avec les envolées descriptives de mon manuel Skyteam. Pas de climatisation, sièges au confort spartiate ou effondrés, le tout dans une ambiance paludéenne dans laquelle évoluent avidement d’énormes moustiques. Bien fait de ne pas oublier de mettre du OFF. Quelques clients choisis du Pétroléum Club noient leur attente dans de la bière. Laissant derrière nous, alcooliques, moustiques et rouspéteurs, nous arrivons à l’avion par une passerelle aussi glauque que non gardée.
Dès le premier pied dans l’avion, un sentiment trouble de malaise m’envahit. Pourtant les conditions semblent nominales voire même bonnes : un VTR HS, deux sièges Espace en panne électrique, deux autres en panne vidéo, une toilette Espace HS et 30°C en cabine cause panne d’APU.
Toilette, voilà ce qui ne va pas, je ne retrouve pas cette odeur habituelle de l’A 310 car elle semble couverte par autre chose. Il me faut quelques minutes pour identifier le fumet perturbateur et me rapprocher au nez, du galley central. C’est le moment que choisit le steward pour ouvrir un de ses fours.
Immédiatement le fumet passe à l’état solide en une puissante odeur de crevettes.
En termes gastronomiques du menu Espace " Crevettes au riz basmati. ", en termes médicaux " Intoxication alimentaire garantie ", en termes juridiques, au pire " Homicide volontaire " au mieux "Homicide par imprudence avec intention de nuire ".
L’Agent hôtelier de Douala me révèle alors que l’avion est arrivé hier soir ; ça je le savais.
Que l’avion était en panne ; ça je le savais aussi.
Qu’ils ont chargé les prestations hier soir à l’arrivée de l’avion ; ça je le ne savais pas !
Qu’ils n’ont pas pu mettre de carboglace faute d’approvisionnement ; ça je l’avais senti !
Qu’il était désolé mais que le chef d’escale ne lui avait pas dit de ne pas charger ces prestations venant de Paris en soute. Belle anticipation, j’étais désolé aussi.

Entre chaleur, humidité et effluves halieutiques, un rapide calcul me fait dire que les crevettes, la salade fraîcheur, la salade gourmande, le mesclun de la mer et le poulet à la crème viennent de mijoter 16 heures à 30°C.
Grand coordonnateur de ce massacre de la chaîne du froid, le chef d’escale ne semble pas inquiet sur le degré de conservation de nos échantillons de Francité. Je devine dans cette inconscience qu’il n’a pas du faire l’excellent stage Hygiène. N’écoutant que ma santé, celle de l’équipage et des passagers, je lui demande un échange complet des prestations. Je me demande encore, alors qu’il n’a pas fait le stage Hygiène, comment il a pu être sûr que seules les crevettes méritaient un changement au même titre que les prestations équipages. Peut-être mon insistance l’a-t-elle aidé. Nous troquons les crevettes J contre des cassolettes congelées de rat aux nouilles siglé Kenya Airways. La Francité en prend un coup au passage. Je suis ému de cette belle solidarité de Kenya Airways qui outrepasse les limites de Skyteam et qui, elle, a des frigos et même des congélateurs.
Je n’aime pas ne pas partager mes doutes avec mon encadrement. Je demande donc au chef d’escale de me mettre en contact avec le CCO afin d’obtenir l’avis d’un cadre PNC, spécialiste en intoxication alimentaire et chaîne du froid pour obtenir son avis sur la tuerie que nous entendons entreprendre en servant la salade fraîcheur, la salade gourmande, le mesclun de la mer et le poulet à la crème. Pas d’interlocuteur disponible me dit le chef d’ escale, d’ailleurs c’est de ma responsabilité et je l’assume. J’aime bien quand il me dit cela car je sais qu’il l’assume jusqu’au départ de l’avion, nous laissant les emmerdes à venir.
Embarquement des passagers pour Paris à qui nous avons réservé la surprise d’un stop à Yaoundé sur ce vol non-stop vers Paris. Car l’avion n’a pu s’y poser la veille cause panne. Autant dire que les passagers de Yaoundé nous attendent avec impatience.
Arrivée à Yaoundé. Embarquement d’une forte délégation de parlementaires en Espace sur fond d’odeur de toilettes retrouvé et de double seating : pas moins de 11 sur une cabine de 40, un record ! Gros succès commercial mais rien par rapport au succès des apaisantes rayures de la nouvelle harmonie Tempo.
En croisière vers Paris le service commence vers 15 heures donc 22 heures après le chargement hôtelier. Tout se passe bien et seul un passager bloque sur le poulet à la crème. Malaise, transpiration, vomissements. Pour le rassurer, je lui dis que ça ne peut pas être le poulet puisque le chef d’escale m’a assuré qu’il n’y avait pas de problème. Je vais même jusqu’à lui dire qu’il a évité les crevettes. Soulagement de sa part entre deux nausées. Je dois reconnaître pour le chef d’escale que sans avoir fait le stage Hygiène, un passager de chute, c’est peu., Risquée certes, mais belle analyse.
Comme à l’accoutumée, dès notre arrivée à CDG, deux camions Servair et ACNA interdisent toutes évacuations par les portes ARD et ARG. Comme toujours l’arrivée du nettoyage et de l’hôtellerie est plus rapide que celle de notre prestataire Penauille, grand gardien des chaises roulantes. C’est donc l’occasion, pour deux gentilles grands-mères WCHR, de découvrir les multiples corps de métiers qui font que les avions volent. Cette activité les ravit par sa diversité, tout y passe, ACNA, Servair, QL, France Vision. Car on prend son temps chez Penauille et le nôtre par la même occasion.
Le CDB ne s’énerve même pas puisqu’il est déjà parti pour sa correspondance vers Nice. Une bonne demi-heure plus tard arrive une seule chaise roulante. Le jeune homme qui la pousse n’est sûrement pour rien dans ce retard mais entend bien faire deux allers-retours rapides.

Je m’interroge : «Comment se fait-il qu’une certaine conscience professionnelle hante encore des personnels parmi les plus pressurés et sous payés ?»
Sans doute la même qui fait que nos jeunes embauchés en B-Scale sourient autant que ceux qui gagnent un tiers en plus.

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